A sa photo, janske met, le 17 mars, comme seul commentaire « the survival of the kindest – be kind and support one another: help where you can ». Quelques jours plus tard, alors que l’Europe est confinée, Erri de Luca adresse une lettre à Nicoletta Dosio, 74 ans, enseignante de latin et de grec, à la retraite, condamnée à un an de prison pour la lutte contre le tunnel de Val di Susa, et depuis trois mois recluse à Turin.
« Chère Nicoletta,
En ces jours, je relis. J’ai à nouveau sur mes genoux les lettres de Rosa Luxembourg depuis la prison de Berlin. Dans l’une, adressée à Mathilde Jacob le 7 fevrier 1917, Rosa raconte le cri de la mésange, tss-vi, tss-vi. Elle sait l’imiter au point que la mésange s’approche de ses barreaux.
Rosa écrit :
Malgré la neige, le froid et la solitude, nous croyons, moi et la mésange, à l’arrivée du printemps.
Et nous voici aux jours qui déclarent l’hiver expiré. Tu es recluse, et par une mystérieuse solidarité, un peuple tout entier s’est enfermé chez lui. Les roues ne roulent pas, le Nord de l’Italie émigre au Sud, les balcons se remplissent de familles. Les économistes ont disparu : tout le pouvoir et toute la parole sont aux médecins.
Je suis dans mon champ, et je regarde la progression des bourgeons sur les arbres. En Italien « bourgeon » et « gemme » sont le même mot : « gemma ». Donc chez nous, les bourgeons sont aussi des pierres précieuses et le Printemps est une joaillerie à ciel ouvert pour toutes celles et ceux qui savent l’admirer.
Ici, les personnes se font la politesse de se tenir à l’écart, de s’éviter
Chez vous, dans les cellules, il n’y a même pas l’espace de se tourner. Aux malades de pneumonie manque l’air, que vous devez respirer à plusieurs. Les prisons surpeuplées sont devenues, par surcharge pénale, des laboratoires de l’étouffement.
Mais la vallée pour laquelle tu t’es battue et pour laquelle tu es en prison continue à produire et souffler un oxygène politique, celui qui surgit de l’intérieur d’une communauté, qui resserre ses fibres, et ainsi donne droit de citoyen à qui est traité par le pouvoir comme un sujet feudataire. Votre vallée, traitée comme une province rebelle, continue à faire obstacle au viol de son territoire.
Ton calme inflexible et intransigeant est celui de ta communauté. Il se manifeste quand un peuple se réveille.
Je suis fier de pouvoir m’adresser à toi, chère Nicoletta, avec le pronom « tu », fier d’être un parmi vous.
Je t’attends ici et te promets qu’à ta sortie tu trouveras la même union et le même printemps.
Je t’embrasse fort, »
Erri de Luca, Rome, le 23 mars 2020
Le 24 mars, Augustin Trapenard lit la lettre pour France Inter et le 28 Erri de Luca s’entretient avec Fanny Cheyrou pour La Croix « Le confinement nous ouvre les yeux sur un printemps précoce ». De son côté, Gallimard publie dans la série gratuite Tracts de crise Le samedi de la terre, d’E de Luca. « Pour la première fois de ma vie, dit-il, j’assiste à ce renversement : l’économie, l’obsession de sa croissance, a sauté de son piédestal, elle n’est plus la mesure des rapports ni l’autorité suprême. Brusquement, la santé publique, la sécurité des citoyens, un droit égal pour tous, est l’unique et impératif mot d’ordre. »